Journée d’étude internationale « Écritures légales, archives et historiographie dans l’Empire hispanique »
Journée d’étude internationale organisée par le CRLA–Archivos en collaboration avec le CEIIBA–Centre d’études ibériques et ibéro-américaines de l’université de Toulouse 2
Écritures légales, archives et historiographie dans l’Empire hispanique
Programme
L’expansion de l’Empire hispanique en Europe et au-delà, à partir de la colonisation des Indesoccidentales, supposa un profond bouleversement dans l’exercice du gouvernement, celui-cis’opérant désormais à distance. L’écriture et le document jouèrent dès lors un rôle prépondérant. Dans Le sens de la représentation, Roger Chartier indique que l’écriture a lacapacité de représenter (donner à voir) symboliquement ce qui est absent, et confère un pouvoir utilisé par de nombreux monarques pour transférer leur propre personne et leur juridiction sur des territoires distants, au moyen de documents validés par des insignes commele sceau. Dès lors, l’écriture acquiert une fonction performative, autrement dit sa production est assimilée à l’acte même de gouverner.
Dans ce contexte, l’exercice du pouvoir et de la justice s’est retrouvé subordonné à la production d’une documentation légale très abondante, aujourd’hui conservée dans des archives espagnoles et américaines. Qu’il s’agisse de correspondance administrative, d’actesnotariaux ou de documents juridiques, ces écritures dites « légales » sont régulièrement convoquées pour comprendre les mécanismes de gouvernement dans le contexte impérial.L’étymologie de « archivo » chez Corominas recèle d’ailleurs les vestiges de son lien avec les notions de gouvernement, de pouvoir : le terme viendrait du latin tardif archivum, lui-même emprunté au grec archeion, qui signifie « résidence des magistrats » ; il s’agit d’un dérivé dearkhe, « le commandement, la magistrature ». Lieu où l’on administrait la loi, l’autorité et lepouvoir, l’archive devient à l’époque moderne le lieu de conservation de ces écritures légales qui constituent la prise de décision, et qui peuvent l’appuyer a posteriori.
Les auteurs de cette documentation –secrétaires, notaires, interprètes, avocats, magistrats, autrement désignés sous le concept de « ville lettrée »– vont développer une rhétorique notariale qui irradie toute la production de discours en Amérique. Roberto González Echevarría postule que cette rhétorique constituait à l’époque coloniale un discourshégémonique qui a influencé toute la prose, historique comme fictionnelle (notamment lapicaresque). Les récits des premiers conquérants ne dérogent pas à la règle : écrire l’histoireétait une façon d’exister dans la geste de la Conquête, de faire valoir leurs mérites et d’obtenir des concessions auprès du Roi. La rhétorique notariale servait leur légitimité d’auteur etdonnait du crédit au contenu. Cette rhétorique est également présente dans l’historiographieofficielle : écrire l’histoire de l’Empire revêtait un enjeu politique majeur, a fortiori dans le contexte de la Légende Noire ; l’ordonnance royale de 1571 encadra cette activité hautementstratégique pour la Couronne en créant la charge de grand chroniqueur (cronista mayor) auquel on assignait des règles de composition strictes pour absorber tous les récits légaux,considérés comme véridiques, dans des œuvres totalisantes.
Cette journée d’étude poursuit celle organisée en 2017, où il avait été question de discuter du rapport entres écritures légales et pouvoir. Nous proposons à présent de focaliser notre réflexion sur les liens entre ces mêmes écritures légales et l’historiographie coloniale. Ils’agira d’analyser les enjeux de la rhétorique notariale et de mesurer le pouvoir qu’elleconfère à ses usagers: conquérants, officiers royaux, communautés et particuliersautochtones, mais aussi ces hommes de l’ombre que sont les « officiers de la plume » ou cette « ville lettrée ». Enfin, on portera une attention particulière à l’influence de ce type de discours dans l’historiographie coloniale des XVI-XVIIIe siècles.